Explications détaillées classement cyclable
Comment s'y prendre pour tester la cyclabilité d'une ville ? Il y a mille façons de le faire ! Nous en avons choisi une, voici laquelle et pourquoi.
Le principe général
Notre démarche est simple : simuler des trajets sur le territoire que nous voulons tester.
On va créer des cyclistes virtuels, qui se déplacent d'un point A à un point B, et on va mesurer le % de km qu'ils parcourent qui s'avèrent cyclables.
Une autre approche pourrait consister en un test "absolu" des km cyclables : tout compter !
Pourquoi ne pas tester toutes les routes ?
Tout compter pose quelques problèmes.
Le principal est évident : cela revient à mettre tous les kms de voirie d'une ville à pied d'égalité. Or, il semble peu logique de pondérer autant les kms de l'artère principale de la ville, et ceux d'une petite voie rurale de fond de métropole ! Le problème d'un tel score serait évident : il suffirait qu'un territoire ait un itinéraire cyclable touristique hors de la ville mais peu emprunté (car personne n'habite, ne travaille là), mais zéro infrastructures cyclables sur les trajets empruntés par ses citoyens au quotidien, pour biaiser fortement le score.
Soyons clair : l'objectif de villes.plus est d'établir un score de cyclabilité du quotidien. Pas de la cyclabilité de tourisme. Les segments sécurisés de la Loire à vélo qui passent à 10km au nord de Chinon ne font pas de cette ville ni de sa communauté de communes un territoire cyclable, loin s'en faut ! Pire : d'après nos calculs, ils ne couvrent a priori pas un trajet réel. On suit la Loire pour suivre la Loire, pas pour aller du domicile au travail, du travail à la boulangerie, et de la boulangerie à la crèche.
La théorie des voies vertes, qui sont d'ailleurs souvent oranges...
La réalité, beaucoup plus complexe et rouge, des déplacements du quotidien
Tout compter sans sélectionner des trajets ni les pondérer, cela poserait la question de la mesure : doit-on mesurer la distance cyclable ? Le nombre de voies ? La surface ? Contrairement à la marche pour laquelle le trottoir a été inventé pour séparer le piéton de la dangereuse automobile, le vélo ne dispose en France que d'une infrastructure naissante. Ainsi, tout compter dans nos villes, en prenant en compte la surface, donnerait des scores de cyclabilité abyssaux... Sans compter que le vélo est si efficace par rapport à l'automobile qu'il nécessite pour un trafic plus élevé, beaucoup moins de surface au sol.
Tout compter, c'est l'approche que nous avons prise pour le pendant piéton du classement, qui a été réalisé le premier. Pour le classement piéton, la méthode globale en surface se défend : nous voyons ici davantage le vélo comme un moyen de déplacement, et la marche comme un droit à flaner.
Évaluer le nombre de kilomètres cyclables, qu'on appelle le linéaire, est une première étape déjà réalisée. Nous avons la chance de disposer d'OpenStreetMap, une magnifique base de carte contributive, sur laquelle de nombreuses initiatives se basent pour cartographier les voies cyclables, en mesurer les différents types de linéaires, ou encore en déduire un indice régional de densité de linéaire par habitant.
Une fois que l'on sait qu'il y a en Ille-et-Vilaine 1898 km d'aménagements cyclables, dont 333km de bandes et 828 de "pistes cyclables", aussi diverses soit-elles, qu'en conclure ? Est-ce satisfaisant ? Est-ce qu'elles sont bien placées, sur les trajets d'un cycliste débutant qui voudrait s'y mettre ?
L'outil en cours de développement O2Dnet est très intéressant : il prend en entrée les données statistiques de déplacement des britanniques, qui semble super détaillées contrairement aux françaises, et catégorise chaque route selon 4 catégories, du mieux au pire. Cela donne donc un résultat en nombre de km cyclable selon 4 catégories. Il ne semble pourtant pas donner de score sur cette base, le décompte concerne donc l'intégralité des km de route du territoire chargé (4 exemples de territoires). D'une certaine façon, le projet ressemble à la carte CyclOSM des voies cyclables : chaque route est visualisée selon son niveau de cyclabilité / ses aménagements : plus il y a de bleu sur CyclOSM, plus elle est sécurisée et confortable pour les cyclistes.
Ici, nous allons proposer une nouvelle mesure, qui vise un objectif palpable et atteignable : une France où sur une sélection d'itinéraires importants dans une ville, il soit possible de circuler à vélo en toute sécurité. Cette mesure donne un score sur 10 par ville ou territoire.
Comment choisir les points ?
Donc, nous devons choisir des points à partir desquels tracer un jeu d'itinéraires à tester.
Version 1 : les mairies
Dans une première version du classement, pour faire simple, nous avions choisi les mairies des métropoles. S'il n'y avait que quelques points à retenir, ce serait bien sûr ces places centrales de nos communes, du village à la grande ville régionale qui comporte souvent plusieurs mairies historiques (les communes rattachées qui ont gardé une identité : «si t'as envie de t'éclater, viens donc faire un tour à Lambé !»), jusqu'aux plus grandes villes pour lesquelles plusieurs mairies d'arrondissement ont été établies.
Seulement cette v1 avait ses limitations : les mairies sont peu nombreuses. Les trajets entre les communes étaient bien testés (avec un seul itinéraire), mais les trajets au sein même des communes, pourtant sûrement les plus fréquents, l'étaient très peu.
Outre les communes comme Paris et ses 20 arrondissements donc au moins 20 mairies, cette sélection de points mairie ne permettait pas de tester la cyclabilité d'une commune de taille moyenne.
Version 2 : mairies + arrêts de bus
Pour compléter les mairies, plusieurs idées ont été soumises. Par exemple, créer une sélections de points à la main. La gare (mais laquelle ?), le stade de foot principal (lequel ? Quid du stad de rugby ?)... Quelle corvée de faire une sélection pour toutes les communes ! Et comment être objectif ? Il faudrait faire une sélection équivalente dans chaque territoire, pour ne pas biaiser les classements.
Il serait aussi possible de sélectionner l'intégralité d'un ou plusieurs types de points : les églises ? Dans de nombreux cas, elles sont en effet des places de vie, mais tant de nouveaux quartiers en sont dépourvues (et bonjour la laïcité). Les bibliothèques ? Pourquoi pas, mais il n'y en a pas tant que ça et comme les églises, beaucoup de quartiers et communes n'en ont pas. Une sélection de tous ces commerces et services publics ? On risque d'omettre les quartiers résidentiels, pourtant source ou destination de chacun de nos trajets !
La densité de population ? L'INSEE publie des données à la maille précise de carrés de 200 m. Mais ne se déplace-t-on que d'un carré peuplé à un carré peuplé ? Non, pas du tout : les déplacements domicile-travail se font souvent vers des zones non peuplées, comme des usines ou des zones d'entreprise. Et que dire des zones touristiques comme des parcs, forêts où la densité est nulle mais l'intérêt d'y aller à vélo est grand ?
Il y a pourtant un type de point qui n'a aucun de ces défauts : les arrêts de bus ! Leur localisation est a priori définie justement pour couvrir non seulement la densité de population, mais également les destinations de cette population. Du moins, si l'autorité des transports en commun a bien fait son travail, mais il semble raisonnable de partir du principe que oui.
Note : nous pourrions ajouter les arrêts de métro et de tram, et leur donner une importance plus grande, car ils représentent des axes majeures d'une ville. #v3
Seulement, des arrêts de bus, il y en a trop dans les métropoles pour nos petits serveurs 🤭. Comment en prendre une sélection ? Les regrouper en « clusters » ? Non, car on perdrait la représentativité et le détail du dernier kilomètre. Il vaut mieux les sélectionner aléatoirement.
Par exemple à Paris, il y a des milliers d'arrêts de bus. En en sélectionnant 100 au hasard, on garde une certaine distribution des arrêts dans la ville qui n'est justement pas faite au hasard !
Ici à Rennes, la densité d'arrêt de bus sur la place de la République lui donne de très grandes chances d'être bien représentée par le tirage au sort.
Quid de ce nombre ? Le score final n'y est-il pas sensible ? Nous avons testé le score de plusieurs villes différentes avec 50, 100, 300 arrêts de bus. Résultat : l'ordre de grandeur du score ne change pas.
C'est rassurant : cela veut dire que la sélection aléatoire de points est a priori une bonne idée ! Il suffit de tester une partie seulement des itinéraires d'une ville pour se rendre compte de sa cyclabilité.
D'ailleurs, c'est très intuitif : au bout de 3-4 trajets à Strasbourg, on comprend que c'est pas Saint-Étienne : on roule souvent sur des voies cyclables. À Paris, il suffit de quelques trajets pour avoir la chance de tester l'une des magnifiques voies cyclables de nouvelle génération, telle que l'axe Nation-Faidherbe.
Notons aussi que la sélection aléatoire permet de tester, dans la durée, via la mise à jour mensuelle qui rebat les cartes des arrêts de bus, d'autres itinéraires. Et donc d'éviter d'être trop sensible à un axe qui serait testé chaque mois. Au final, c'est l'évolution au fil des années du score des villes, en dizaines de %, qui importera ! Que Nantes Métropole passe de 1,7/10
à 1,8
, ni le classement villes.plus ni les cyclistes Nantais n'en verront la couleur. L'objectif, c'est que Nantes passe de 17% à 30% dans les années qui viennent. Oui, ça demande une révolution cyclable.
Pour en savoir plus sur la démarche de recherche sur ce sujet de la sélection des points, voir cette page illustrée qui comporte de nombreux tests sur plusieurs villes.
Comment tracer les itinéraires entre les points ?
Nos points sont choisis, c'est super. Mais comment simuler les trajets entre eux ?
Combien d'itinéraires ?
À partir de chaque point, nous traçons 4 itinéraires dans un seul sens, vers les points les plus proches à vol d'oiseau.
Nous l'avons fixé à 4. Chaque point est relié à 4 autres points de la même catégorie (mairie ou arrêt de bus).
Pourquoi 4 et pas 10 ? Parce que c'est explosif en temps de calcul, encore plus que le nombre de points ! D'autre part, 4 directions, c'est symboliquement les quatre points cardinaux, même si en pratique pour un point donné, les points les plus proches sont rarement répartis comme une boussole.
Dans la version 3 du classement, sortie pour juin 2023, nous orientons les 4 itinéraires testés : l'un partira plutôt vers le nord, l'autre vers l'est, etc. Voyez pourquoi dans ce ticket : en bref, cela peut créer des clusters de villes proches (4 villes à 3km les unes des autres), non reliées au cluster suivant qui se trouve nettement plus loin (7km) mais dans une autre direction.
Comment tracer l'itinéraire entre deux points ?
Nous utilisons la magnifique bibliothèque de calcul GPS bRouter
. Si vous ne la connaissez pas, testez-là, c'est très efficace, notamment pour imaginer vos futures randonnées et trajets.
Pour ne pas être trop sévère avec les villes, et parce que c'est logique, nous avons choisi le mode d'itinéraire vélo sécurisé
: ainsi, un écart est toléré pour aller chercher des voies cyclables, dans une certaine limite. Mais c'est potentiellement un cadeau fait aux territoires ! Car l'algorithme sécurisé
peut faire de trop grands détours pour un cycliste. Nous allons investiguer ce point.
Comment décider si un itinéraire est-il cyclable ?
C'est la question compliquée, qui sera assurément le sujet de la plupart des débats.
Profitons-en pour rappeler qu'aucun classement n'est parfait. Ils comportent tous des choix qui orientent les résultats. La différence entre villes.plus et les autres, c'est qu'il est open source. Chacun peut le scruter, proposer des changements, et pour quelques euros par mois en coûts de serveurs, en faire sa propre version.
Chaque itinéraire est constitué de plusieurs segments, souvent beaucoup. Chaque segment peut être cyclable ou non. Le score de cyclabilité sera la somme des kms de segments cyclables, divisée par la somme totale des kms.
Le critère de classement cyclable / non cyclable sera par beaucoup considéré exigeant : une piste cyclable peinte au sol qui permet à un cycliste d'être frolé par un SUV de 2 tonnes ou bloqué par un automobiliste garé en double file, n'est pas un segment cyclable.
Gardons en tête l'immense biais que nous avons tous, car nous avons grandi avec l'expérience vécue suivante : la voie cyclable la plus courante en France est un coup de peinture au sol en marge d'une route voiture. Alors forcément, une voie dédiée aux vélos et séparée des voitures, ça nous semble royal. À l'inverse, un Amstellodamois qui viendrait visiter la ville de Dreux (
0,3/10
), se demanderait comment une ville peut à ce point décider d'une infrastructures 100% bagnole.
Ainsi, trois types de voies sont aujourd'hui considérées cyclables :
- une voie cyclable dédiée aux vélo et uniquement aux vélos (donc pas aux voitures évidemment, et pas aux piétons non plus), séparée physiquement du reste de la voirie (par une bordure, une différence de niveau)
- une « vélorue » ou « voie douce », dans laquelle les vélos sont prioritaires par rapport aux voitures
- une voie piétonne suffisamment large pour que les vélos et piétons cohabitent, ou un chemin piéton de quelques mètres de large mais avec un tracé vélo clairement séparé.
Voilà pour les grandes lignes. À partir de là, pour chaque segment, nous analysons les labels OpenStreetMap (le Wikipedia de la cartographie) qui décrivent chaque portion de route française.
L'algorithme exact est simple à lire, mais il demande d'être familier ou s'intéresser aux attributs d'OpenStreetMap.
Les données d'OpenStreetMap sont-elles fiables ?
En bref : oui. Je vous invite à consulter la carte d'une zone que vous connaissez. Sauf exception (coin reculé dans la montagne), vous y découvrirez probablement des informations que vous ne connaissiez pas.
Mieux : sur https://www.openstreetmap.org, chacun peut contribuer à l'aide d'un éditeur graphique très bien ficelé. Il manque une voie cyclable près de chez vous ? Suivez un guide d'édition, et tracez la voie en 5 minutes !
Pour revenir à la qualité des données : dans de nombreux cas, les voies cyclables en construction sont déjà présentes sur OSM (OpenStreetMap).
Encore une fois, aucune source de données, aucun classement n'est infaillible, mais il nous apparait évident que (1) OpenStreetMap est la meilleure source de données existantes pour notre affaire, et (2) elle est d'une qualité bien suffisante pour calculer les scores de cyclabilité des territoires.
Quelques chose ne va pas ? Vous ne comprenez pas un des points discuté dans ce guide ? Vous avez un autre avis à exposer ? ➡️ Direction le forum Github pour poser la question :)